De grands principes voient le jour : « liberté, égalité, fraternité, souveraineté nationale ». Un immense espoir envahit le cœur des français. A un régime absolutiste vieux de plus de 10 siècles succède une monarchie constitutionnelle, puis une République. Celle – ci sera de courte durée et laissera place à l’empire. Bien plus tard, la République renaîtra.
Les philosophes du XVIIIème siècle avaient pressenti, et par leurs écrits, participé à ce mouvement d’émancipation que portait en elle une classe, aisée, bourgeoise, mais n’ayant pas la possibilité de prendre part à la direction du pays. Les réformes politiques et sociales paraissaient indispensables, mais la résistance des privilégiés et du roi qui détenaient le pouvoir les firent avorter.
Les injustices les plus criantes d’un système fiscal inique, la crise financière furent l’occasion, pour la classe bourgeoise de montrer sa volonté d’opérer des transformations radicales. Elle saisit l’occasion de la réunion des états généraux convoqués par le roi dans le but de renflouer les finances du royaume pour faire acte d’autorité et imposer son point de vue. Elle fut aidée en cela par la révolte du peuple de Paris et des paysans qui avaient à supporter les exactions des nantis et une disette de très grande ampleur.
Les membres du Tiers Etat auxquels s’étaient joints quelques membres du Clergé et de la Noblesse obtinrent dans la nuit du 4 août 1789 l’abolition des privilèges. L’édifice vermoulu de la féodalité était abattu.
Une nouvelle constitution vit le jour et surtout fut rédigée la « Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen » qui donnait la primauté aux droits imprescriptibles du citoyen devant la loi et à sa liberté. Ces « principes immortels de 89 » passeront les frontières et le germe de la démocratie grandira dans de nombreux pays.
Pour les peuples opprimés, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen reste encore aujourd’hui une sorte de bréviaire dont se réclameront tous les mouvements d’émancipation postérieurs à 1789 dont nous fêtons cette année le Bicentenaire.
Je ne prétends pas du tout faire ici l’Histoire de la Révolution (quelle présomption !), mais je pense que ce préambule général sur 1789 éclaire ce qui nous intéresse : comment cette époque a - t - elle été ressentie par les daumazanais d’alors ?
Lisant et relisant les notes de Mr l’abbé Blazy prises dans les délibérations municipales d’alors et prêtées par Mr l’abbé Maury, j’en ai tiré ce qui suit et qui, je l’espère, vous fera entrevoir l’état d’esprit de nos ancêtres daumazanais et les incidences de ce grand mouvement national sur notre vieux village.
Lucette Carbonne
L’année 1789 s’ouvre par une adhésion unanime au mémoire rédigé par les syndics du Tiers Etat de la province de Foix. Ce mémoire devait être présenté au roi pour le supplier de « réformer la constitution actuelle des états de Foix ».
Le 2 février 1789, furent rassemblés en conseil extraordinaire, à la maison commune de Daumazan et sur l’invitation des officiers municipaux, les membres du Tiers Etat « habitants et bien-tenants » de cette ville. Après lecture du dit mémoire, l’Assemblée « convaincue de l’utilité des vues développées dans ledit mémoire et de la nécessité de remédier aux abus attachés à la forme qui a eu lieu jusqu’à présent dans l’administration du présent pays, a unanimement adhéré aux vœux exprimés par ledit mémoire sans préjudice des modifications que les circonstances locales pourront exiger pour maintenir l’équilibre d’influence convenable entre les différentes parties de la province et ménager une proportion plus exacte dans la répartition des charges publiques, non seulement entre les biens nobles et les biens roturiers mais encore entre les fonds actuellement sujets à la taille des différents districts du dit pays. »
Le marquis d’Usson, commandant de la province, avait lancé le 16 janvier ses lettres de convocation des Etats qui devaient se tenir à Foix le 9 février. L’assemblée de Daumazan nomme le 2 février son député, Mr Marc Antoine Pailhès, du Poumaret, maire. Il devait se rendre à Foix le 8, veille de l’ouverture avec « pouvoir de prendre séance aux dits Etats et d’y délibérer sur toutes les questions qui seront proposées pour l’avantage de la province et de ladite commune, le tout aux frais et dépens de la communauté. » (délibération du conseil politique du 2 février 1789).
Le 25 mars 1789, les daumazanais âgés de plus de 25 ans, et compris dans le rôle des impositions, s’assemblent au son de la cloche de l’Hôtel de Ville (les « estrangers » sont exclus de ce vote). Conformément aux lettres royales du 24 janvier 1789, transmises par le sénéchal de Pamiers, dont lecture a été faite à la messe de ce jour, les daumazanais devaient se réunir pour s’occuper de la rédaction des « cahiers de doléances, plaintes et remontrances ». Ce qu’ils firent sur le champ et ce cahier fut signé par tous ceux qui savaient le faire. Ils nommèrent également quatre députés : MM. Pailhès, maire, Garrigue, avocat au parlement de Toulouse, Jean Pierre Bernaduque, licencié es droit et Bernard Majureau, bourgeois. Ces députés ont été choisis pour aller à Pamiers porter les cahiers de doléances et pour y élire deux personnes qui représenteraient la province aux Etats Généraux convoqués à Paris pour le 1er mai 1789.
Les Etats Généraux étaient une institution coutumière que les rois réunissaient selon leur bon plaisir. Cette assemblée (Noblesse, Clergé et Tiers Etat) était surtout convoquée en période difficile pour le royaume. Pour la première fois, en 1789, le roi consent à octroyer au Tiers Etat autant de députés qu’aux deux autres ordres réunis.
Le 13 septembre 1789, le conseil politique de Daumazan donne lecture de la lettre des deux députés de la province aux Etats Généraux. Ils disent n’avoir pu souscrire à l’abolition des privilèges particuliers des provinces que par un vœu personnel. Ils s’adressent à ceux qui les ont désignés et les prient de bien connaître leurs intentions.
« Pour moi, dit le maire Pailhès, je ne saurai retenir la mienne plus longtemps, cachée au-dedans de moi-même, et lorsque tout ce qu’il y a de privilégié dans la France s’est déjà disputé l’honneur de faire des sacrifices, il ne me reste que les regrets de nous voir les derniers à faire à la Nation le généreux abandon de nos privilèges. Je pense, donc, messieurs, que l’esprit de notre délibération doit être de ratifier et d’approuver pour tout ce qui regarde le sacrifice que l’Assemblée Nationale a jugé nécessaire à l’utilité générale du royaume. » Sur quoi, l’Assemblée « considérant les avantages qui doivent résulter pour la province de Foix en général et en particulier pour la communauté de Daumazan des grandes et importantes réformes qui ont été déjà décrétées par l’Assemblée Nationale et en considération surtout de l’abolition du régime féodal, elle consent à faire en faveur de la Nation, le sacrifice des privilèges que l’Assemblée Nationale a jugé nécessaires. »
Toutefois, nos édiles précisent prudemment (le régime inique sous lequel ils vivaient depuis tant de siècles les ayant sûrement rendus méfiants et peut être sceptiques) que « néanmoins rien ne saurait faire changer les volontés énoncées dans le décret du 4 août dernier, ni nous empêcher de jouir de tous les avantages qui nous sont promis. » Le conseil approuve ces délibérations à l’unanimité. Et, sur toute la page de ce vieux registre jauni par les siècles, il est émouvant de relever notamment les signatures fièrement et fermement apposées de Pailhès de Poumaret, maire, Bernaduque, échevin, Majoureau, procureur du roi, Castéras, échevin, Mamy, Laurens, Mandement, Garrigue, avocat, Daraux, Bentajou, Aressy, Marignac, Prévost, tous ces noms qui parlent à nos oreilles de vieux daumazanais, et évoquent tant de souvenirs.
Au fil de la lecture de ces délibérations, on relève une certaine effervescence dans la communauté et les discussions semblent passionnées. On convoque une assemblée des chefs de famille pour nommer une « garde bourgeoise ». On désigne MM. Garrigue et Pailhès pour se rendre au Mas d’Azil « pour régler de concert avec eux une alliance qui a pour but le bien général ». On lit publiquement une lettre du président de l’Assemblée Nationale à Paris. « L‘Assemblée a vu avec plaisir (dans les décisions du conseil de Daumazan) les assurances de respect pour les lois qu’elle a votées et doit voter encore, de zèle et de dévouement que donnent les habitants de la ville de Daumazan ».
Le 2 septembre 1789, la communauté de Daumazan joint ses vœux à celle de Foix et de Pamiers afin d’obtenir de l’Assemblée Nationale que le pays de Foix « fasse un département du roi ». De plus, la même communauté demande que si l’Assemblée Nationale juge dans sa sagesse que Daumazan mérite un chef – lieu d’un district, ce serait avec peine que nous nous verrions faire partie de tout autre département que celui qu’il semble juste d’établir dans la province. Le 26 février 1790, la France est découpée en départements et les vœux du pays de Foix et de la communauté daumazanaise sont exaucés. Le pays de Foix devient l’Ariège.
Les échos de la révolution qui parviennent de Paris en cette année 1789, les conséquences de ce début de changement de régime troublent profondément notre village qui, dans sa grande majorité, adhère aux idées nouvelles. Les délibérations de nos officiers municipaux en attestent. On met en place et on discute de l’application des nouvelles lois. Cela n’empêche pas pour autant le conseil de gérer la commune. Par exemple, il est question de la réparation du moulin d’en haut (au confluent de l’Arize et du ruisseau de Montbrun), du règlement de différents entre héritiers, on fixe la date des vendanges au 8 octobre pour le petit quartier et au 12 octobre pour le grand quartier, on discute de l’imposition des biens nobles et de la procédure engagée contre le marquis de Sers, seigneur de Daumazan sous l’ancien régime, etc… Bref, la vie quotidienne suit son cours.
En début de 1790, M.Pailhès quitte la mairie, M. Garrigue devient maire. C’est une année difficile pour le village. Le travail manque, les récoltes sont médiocres, la disette et la misère se font sentir. Le maire de Daumazan va demander à l’évêque de Rieux l’aumône accordée aux pauvres et on le prie « de la proportionner à leurs besoins ». Elle sera distribuée en présence du curé et du syndic des pauvres.
En juin 1790, la commune de Paris invite les communes de province à célébrer le 14 juillet le pacte fédératif décrété par l’Assemblée Nationale le 8 juin. « Pour manifester son vœu et son patriotisme d’une manière éclatante à l’heureuse révolution qui vient de s’opérer en France, l’assemblée communale ordonne au chef de la Légion de la ville de prendre les armes à midi pour prêter le serment civique ». Le curé, le vicaire et tous les habitants sont invités. Le curé entonne après la cérémonie un Te Deum en action de grâces. Il est interdit sous peine d’amende de travailler la terre ce jour là. Un feu de joie est allumé aux frais de la commune et le soir le village est tout illuminé. C’est en somme la première célébration du 14 juillet, en tant que fête de la Fédération, célébration qui ne devait devenir fête nationale qu’en juillet 1880 (anniversaire de la prise de la Bastille).
On trouve encore beaucoup de notes sur les incidences de la Révolution dans notre petite commune.