Voilà un petit texte trouvé dans mes archives, sur de vieilles feuilles jaunies à moitié mangées par les souris… Malheureusement, il n’est pas fait mention de l’auteur.
Michel Dapot
Houp ! Le coup de frein a été si brutal à cette vitesse (20 km/h) que j’ai été pratiquement projetée sur la banquette d’en face. L’ensemble des occupants du wagon s’est retrouvé en un instant déporté vers l’avant, déséquilibrant même la baladeuse.
Remise de ce réveil en sursaut, je sors sur la plate – forme à l’arrière de la voiture ; appuyée à la galerie, je me penche pour voir ce qui se passe…
Là, sur la voie, à quelques mètres devant la locomotive, trônent en conquérant une charrette et tout son chargement de foin à moitié déversé sur la voie. Le paysan ne semble guère être bavard ; il s’ingénie à relever sa carriole, mais la roue droite semble s’y opposer désespérément : elle est devenue un amas difforme de bois et de fer entremêlés.
Le wattman (conducteur de tramway), à la tête de plusieurs passagers, décide d’aider cette carcasse encombrante à dégager le chemin. Les bestiaux dételés, la charrette vidée de ses meules de foin, est levée à force d’hommes et laissée sur le côté de la voie.
Toulouse est déjà maintenant bien loin derrière… Aujourd’hui, je fais le trajet des lignes de tramway de l’Arize et de la Lèze qui ont été récemment inaugurées. Le journal m’envoie faire un reportage sur ces transports d’un type nouveau qui viennent désenclaver ces vallées isolées. Le paysage, tout autour, vert et vallonné, fait apparaître, ça et là, quelques maisons cossues aux murs irréguliers. Les vergers regorgent de fruits, la terre semble fertile ici. Cette vallée semble être une sorte d’avant-scène des Pyrénées ; elle est, ma foi, fort jolie et on s’y attarderait bien un peu.
Les affaires sont les affaires !
Un colporteur, en panne de transport, profite de l’arrêt pour prendre le tramway. Après quelques négociations quant au prix du billet, il monte dans le wagon, la mine réjouie par la bonne affaire qu’il vient de faire avec le conducteur, ce dernier ayant plus le sens de la conduite que celui du commerce…
Cependant, ce coquin de camelot est loin de s’arrêter là, un wagon rempli de voyageurs est pour lui une vraie aubaine. Le voici qui s’installe sur une banquette au milieu de la voiture ; ses breloques pendouillent au rythme du train et son fatras de mercerie brille intentionnellement avec ostentation vers la dame du siège d’en face. La proie est facile et les boutons de nacre, ainsi que l’épingle à chapeau convoités, ont tôt fait d’être achetés. Dans ces cas là, il n’y a que le premier pas qui compte et le reste des voyageurs est vite attiré par cette distraction inattendue ; ce marchand a bien commencé sa journée ! Le bonhomme a l’air bien sympathique et je me hasarde, après lui avoir acheté quelques bricoles, à engager la conversation. Nous sommes le premier vendredi du mois et celui-ci va à la foire à Daumazan. Il est originaire du pays et me parle avec enthousiasme du progrès que constitue ce formidable engin mécanique dans lequel nous sommes installés. Pour lui, qui sillonne les routes toute l’année, ce tortillard est un gain de temps et de confort non négligeable. Il me décrit le temps pas si lointain où les wattmans n’avaient pas encore remplacé les voituriers. Il lui fallait alors prendre ces diligences, au confort plus que précaire, qui n’étaient jamais à l’heure et qui réservaient pas mal d’aventures si cocasses. Parfois, lorsque les roues du coche s’étaient embourbées, on devait faire appel à une dépanneuse improvisée en la personne d’un paysan et de sa paire de vaches. Il me parle tout particulièrement de la terrible côte des Bouychets. Les quelques cahots des rails me paraissent alors bien insignifiants. Combien d’anecdotes pourrait-il me raconter encore, un peu grisé par son début de journée ! Il me recommanda d’aller voir Bertrand Dargent, voiturier à Pailhès, lui qui fit le service des voitures, les mardis, jeudis et samedis, du Mas d’Azil à Pamiers, durant tant d’années. Je me promis d’aller lui faire une visite lorsque l’occasion se présenterait.
Daumazan, nous y voilà. Je descends pour me dégourdir un peu les jambes. Il est encore tôt, mais déjà beaucoup de monde se presse sur le quai. Les jours de foire drainent leur cortège de vendeurs ambulants et de ménagères à la recherche des objets les plus sophistiqués pour alléger leur travail quotidien. Il ne faut pas oublier que nous sommes en pleine révolution du fer blanc. Ces trouvailles de Saint Etienne parviennent déjà dans ces contrées éloignées. Assise sur un remblai, alors qu’autour de moi les gens s’activent avec leurs baluchons, leurs affaires et leurs bavardages, je pense au difficile parcours qui donna naissance à ces tramways.
Trente ans de palabres
Il a fallu près de trente années de discussions, décisions, votes et rapports avant de poser le premier rail de cette voie. Un véritable parcours du combattant ! Cette histoire de la difficulté de nos élus à s’ouvrir au progrès vaut bien la peine d’être contée.
A l’origine, en 1878, Léonce Pauly, conseiller général du canton du Fossat et maire d’Artigat, proposa d’étudier un projet de tramway de Toulouse à Pailhès et Emile Sans-Leroy, conseiller général du Mas d’Azil et maire de Daumazan, soutint un projet semblable de Carbonne au Mas d’Azil. En août 1880, le conseil général ordonna la mise aux enquêtes de cette dernière proposition et limita la participation financière que le département lui accordait. En même temps, il imposa comme condition essentielle la jonction de ces deux lignes à la grande ligne d’intérêt général de Saint Girons à Foix, évidemment aux frais des communes intéressées. Il s’ensuivit toute une série de réunions préparatoires. En 1890, un comité de neuf membres, intéressés à la construction des chemins de fer, fut chargé d’étudier avec le préfet de l’Ariège et les services des Ponts et Chaussées, les lignes de l’Arize, de la Lèze, de Castillon à Saint Girons, de Saint Antoine à Bélesta, de Vicdessos à Saurat et de Mazères au Vernet. A la fin de cette année là, le conseil général vota les lignes proposées ; celle de Mazères au Vernet fut la seule écartée.
A la séance du 22 août 1901 du conseil général, on vota l’étude des différentes voies par un service technique, sous la direction du préfet. Il était alors expressément entendu que le vote et l’exécution étaient subordonnés à la prise en charge certaine et définitive par l’état du chemin de fer d’intérêt général de Saint Paul Saint Antoine à Lavelanet et Bélesta.
Les délibérations du conseil général de l’Ariège du 23 avril 1903 méritent que l’on s’y attarde car elles furent décisives pour la suite des évènements.
Des discours mais peu d’effets
Une vive polémique partageait l’assemblée. La question était de savoir si la priorité devait être donnée au développement et à l’entretien du réseau vicinal ou bien si elle devait être axée sur le modernisme et emporter l’accord du conseil à la construction de lignes de tramway. Dès l’ouverture de la séance, le président Laborde déclare : « …le chemin vicinal, c’est le nécessaire, c’est pour ainsi parler, le pain de tous les jours, c’est ce qui est plus particulièrement utile au plus grand nombre de nos cantons… » Ensuite, apportant judicieusement de l’eau au moulin de ses arguments, il ajoute : « les chemins de fer d’intérêt local ont eux-mêmes un intérêt marqué à ce que le réseau vicinal qui les alimentera soit le aussi complet que possible… Dans un pays pauvre comme le nôtre, tous ceux qui ont le mandat de gérer les intérêts publics et d’engager les deniers des contribuables sont obligés à une grande prudence. Ils ne peuvent pas accomplir tout ce qu’on leur demande. Ils doivent avant tout une sollicitude exceptionnelle à l’œuvre la plus importante c’est-à-dire au réseau vicinal. »
Ensuite, il fit un rapport très précis et chiffré sur les nombreuses lacunes des réseaux vicinaux. Malgré ces arguments de poids et son talent oratoire certain, le conseil général vota à une large majorité (15 voix pour et 5 contre) son accord pour la construction des différentes voies de tramway. Ainsi commença la fabuleuse aventure des chemins de fer ariégeois d’intérêt local.
Le 6 août 1907 la déclaration d’utilité publique des voies de l’Arize et de la Lèze était prononcée, le cahier des charges était établi et les grands travaux de structure commençaient… Constructions de ponceaux voûtés, d’aqueducs dallés, édification d’un pont métallique de 20 mètres d’ouverture sur l’Arize, élargissement du pont de Castagnès et de ses abords, sans compter le nombre de buses en ciment, de traverses ou de dalots que l’on dut poser. Cet aménagement fut la condition sine qua non de l’ouverture de ces lignes. Leurs coûts s’élevaient selon les premières prévisions du cahier des charges de 1907 à 905 638 francs pour la ligne de la Lèze, à 1 009 045 francs pour celle de l’Arize et à 347 621 francs pour leur ligne de raccordement. Ces travaux d’envergure s’étalèrent sur plusieurs années et le résultat est à la hauteur des espérances escomptées. Concédées à la compagnie des chemins de fer du Sud-Ouest en 1907, les lignes de Pailhès à Sabarat au Mas d’Azil furent ouvertes le 5 septembre 1911 ; elles marquèrent la fin de lourds travaux et le début du petit tortillard dans les nombreux tours et détours de ces deux vallées ariégeoises. Aujourd’hui, il est bien chose concrète, ce chemin de fer d’intérêt local.
De curieux tête à tête…
Le signal est donné, on va repartir. Je sors de mes réflexions sur les difficultés à s’engager vers le progrès et je grimpe à nouveau dans la voiture. Il ne manque pas de monde ; c’est jour de foire, un de ces jours d’ailleurs où l’on ne doit pas insister pour essayer d’avoir une place assise, ce serait peine perdue dans ces wagons qui ne comprennent qu’une vingtaine de sièges, objet de bien des convoitises. La motrice qui tire maintenant un train alourdi redémarre péniblement, puis peu à peu rejoint sa vitesse normale. On doit au moins dépasser les 22 ou 23 km/h…Le wagon est de classe mixte (première et deuxième classes). De curieux tête à tête s’y déroulent. Notables des petits bourgs côtoient volontiers les débonnaires paysans des campagnes avoisinantes. Ainsi, le notaire en arrive à une discussion passionnée avec son voisin, chargé de volailles et de produits fermiers. Un petit gamin qui voyage sans doute avec son grand-père s’est endormi sur ses genoux. Celui-ci lui caresse doucement la tête. Son œil d’un seul coup s’illumine : délicatement, il sort de la poche du bambin du papier à rouler et du tabac à 6 sous ! A côté, sa femme a l’œil courroucé de la désapprobation. Lui se souvient de sa première cigarette et aimerait bien partager celle de son petit-fils.
La matinée s’avance, la chaleur laisse poindre l’odeur de moleskine des banquettes toutes neuves ; celle-ci se mêle au parfum âcre des diverses marchandises de chacun. Je me glisse près de la plate-forme. Là, grisée par le vent, je goûte en tout quiétude à l’ivresse de la vitesse et au bruit répétitif de l’engin.
Je me penche un peu et j’aperçois le village de Campagne entre deux épisodiques bouffées de vapeur et les arbres qui limitent ma vue. Cette bastide est traversée par l’Arize : d’un côté se trouve le vieux bourg, de l’autre de nouvelles maisons commencent à s’installer. Ce village est rempli de charme et ses vieilles bâtisses ne sont pas dépourvues d’une certaine bonhomie.
C’est une autre halte : nous arrivons en gare de Campagne. Quelques passagers descendent, d’autres déjà se bousculent dans l’espoir d’avoir un siège. Tout le monde est installé, l’arrêt est bref et nous repartons…
Je reste sur la plate-forme, derrière sont accrochés deux wagons de marchandises. L’un est fermé, il doit probablement être rempli de produits divers, blé, grains, huile ou bois de menuiserie. L’autre, découvert, me laisse entrevoir les têtes hébétées de petits veaux collés au flanc de leur mère, elles aussi quelque peu sonnées par le balancement du fourgon.
La voie est pour l’ensemble assortie de ballast, un peu surélevée à côté du chemin. Parfois, lorsque la route affleure, les rails sont à même le bitume et leur entre-rail est alors comblé pour rejoindre son niveau. Dans l’ensemble, nous suivons le chemin de grande communication ; les rares écarts se font à proximité des gares où, bien sûr, l’on doit contourner les quelques constructions annonciatrices des bourgs.
Sur la gauche, au pied d’une colline, apparaît Bordes sur Arize. Cette ancienne place fortifiée entourée d’arbres fruitiers est la patrie de Napoléon Peyrat, chantre des Pyrénées comme on l’a surnommé. Je comprends son engouement à décrire son pays et son village. L’endroit est coquet et donne envie d’y prendre du bon temps.
Correspondance pour Pailhès
Trois heures et plus depuis Toulouse… Après maints arrêts et de nombreuses secousses, nous arrivons enfin à Sabarat ! Ce gros village ne doit son importance que parce qu’il se situe à la croisée des routes du Mas d4azil, de Daumazan et de Pailhès, au confluent de l’Arize et du ruisseau de Menay. Sabarat est devenue par sa situation géographique et l’accès du Tramway un carrefour important, si bien que les anciens moulins devenus les minoteries Fraysse justifient un trafic important. Ainsi, de nombreuses activités se sont développées, au grand bonheur de ses habitants. Ce ne sont pas mes vieux amis cafetiers Adrien Cancel et Léon Barrière qui me contrediront. Je me serais bien arrêtée leur dire quelques mots pour me rafraîchir d’une de leurs « anisettes », seulement voilà, je dois prendre ma correspondance pour Pailhès et, avec ces savoureux complices, le quart d’heure gascon s’avère souvent trop long. Je descends ici.
Sur le quai, je regarde partir le train, bien contente de ce petit temps de répit qui s’offre à moi. Il suivra ensuite l’Arize jusqu’au Mas d’Azil. Il traversera même la roche du Cabaret (tête de bélier), il s’y engouffrera et en ressortira aussitôt, écumant de vapeur. Il donnera ainsi un peu de vie à cette roche. Il serpentera le long des tours et détours de la vallée, au grand désespoir des estomacs fragiles.
Ah ! Voilà la correspondance. Il est 10h15, elle n’a que peu de retard. La locomotive semble poussive ; elle est massive mais toutefois élégante. Le plein d’eau et de combustible est fait, le monstre est prêt à repartir. Autant ne pas tarder et trouver une place. Dans la voiture, me voilà calée dans un des sièges dans un coin, côté fenêtre. Ce confort supplémentaire me paraît être non négligeable. Direction Pailhès, nous voilà repartis. C’est une petite ligne de raccordement, le convoi du tramway est beaucoup moins long : une voiture mixte, deux de seconde classe, un wagon à marchandises et le fourgon postal.
Après un petit détour, nous suivons peu à peu le chemin de grande communication n°1, jusqu’à la route nationale n°119 ; sur cette voie, un seul arrêt au hameau de Menay. Le tramway avance tranquillement. Je me laisse porter par le ronflement de la motrice et les quelques soubresauts qui me font cogner de temps en temps à la vitre. La ligne de raccordement est courte, seulement 8 km, Pailhès est vite là.
Juste quelques minutes d’arrêt, le temps de rajouter des wagons, de faire monter les voyageurs, et déjà nous repartons le long de la vallée de la Lèze.
Le contrôleur contrôlé !
Nous filons vers Artigat ; je songe au sacré bonhomme qu’il devait être ce Martin Guerre, et ce coquin d’Arnaud du Thil qui se fit passer pour lui pendant plusieurs années. Quelle histoire, en ce temps là !
Je reviens vite à la réalité. Sur mon côté droit, j’entends un : « Oh ! Mademoiselle, vous êtes sourde. Je vous demande votre ticket. »
Je m’exécute en bredouillant des excuses. L’homme n’a pas l’air commode. Sa casquette enfoncée sur le front le rend peu sympathique et l’uniforme qu’il porte lui donne un certain air martial, malgré sa petite bedaine. Puis, voyant que j’étais la dernière personne à être contrôlée dans la voiture, je me lance. Je lui expose le but de mon voyage et lui explique qu’avoir les impressions et les renseignements d’un préposé au contrôle pourrait être pour moi très utiles. Il me regarde au début d’un air renfrogné puis, valorisé par l’importance de la nouvelle tâche que je lui confie, il accepte de répondre à quelques unes de mes questions. J’avais eu du nez car il s’avéra être un brave homme et commença à me parler de son travail. Il me montra comment, dès la tombée de la nuit, il allumait dans chaque voiture les lampes à pétrole, fumeuses et puantes. Il m’expliqua qu’en hiver un certain cérémonial préludait au départ de chaque train : le remplissage des bouillottes d’eau chaude ! Elles réchauffent tant bien que mal les voyageurs. Souvent, cette opération ardue entraîne quelques petits retards.
Mais sa plus grande fierté, à cet homme, c’est de connaître par cœur, sans regarder son calepin, tous les tarifs de la ligne. Ainsi, il sort devant moi son chapelet. J’en note quelques uns : un enfant de 3 à 7 ans paie demie place, sachant que le prix normal par personne et par kilomètre est de 0,055 francs ; les chiens transportés dans la voiture des voyageurs 0,015 francs/km. Le prix des marchandises fluctue selon la vitesse à laquelle elles sont transportées et selon leur classe.
Bref, lui seul est capable de se retrouver dans ces comptes d’apothicaire. J’essaie de lui poser des colles et lui demande au hasard certains tarifs individuels ou de groupes avec ou sans bagages en surplus. Notre homme connaît son affaire et je me laisse prendre au jeu. Déjà, la voiture quitte Artigat, et notre contrôleur doit reprendre son travail.
La mardina du Carla Bayle
Jusqu’à présent trop occupée à « asticoter » ce brave homme de contrôleur, je n’avais pas remarqué la vieille dame en face de moi. Elle est belle, avec son petit col empesé et ses rides régulières. Elle voyage ses mains fermées, sagement posées sur ses genoux. Je lui souris. Elle s’approche doucement et m’offre un de ces bonbons qui sentent le pin et le miel qui sort d’un sac noir qui n’a plus d’âge. On échange quelques mots et la voici en confiance. Elle est du Carla Bayle et c’est la première fois qu’elle prend le tramway. Au début, la vitesse l’effrayait, mais bien vite elle a trouvé ça agréable, assure - t - elle. Je remarque tout de même que son poing est toujours un peu crispé sur l’accoudoir. La fumée donne du mal au poumon, me dit - elle. Enfin, papoter cela la rassure. Ainsi me parle - t - elle de son village et surtout de ses amies, d’autres « mardinas » comme on dit ici. Elle les appelle par leur sobriquet. Elle ne les a d’ailleurs jamais appelées autrement. « La fenno del sourd », « Marie de Bernameu », « La Fitouno ». Elle se réjouit de son arrivée car elle va pouvoir leur raconter tant et tant de choses.
Elle me parle aussi de son fils, Elie Cabanac « qui fait éditeur de cartes postales » et de sa bru Malvina, tous deux sont au Carla Bayle.
On arrive au pied du village, niché sur une crête ; c’est une place fortifiée au riche passé historique où se déroulent encore de nombreuses processions protestantes. Chacun ici est fier de cet illustre philosophe Pierre Bayle à qui on a voulu rendre hommage en rajoutant son nom à celui du village. La grand-mère descend et va rejoindre tout son monde, heureuse de l’aventure qu’elle vient de vivre.
Maintenant, le wagon s’est un peu vidé. Le trajet se fait un peu plus monotone. Bientôt Le Fossat plastronne au cœur de la plaine, avec son église fortifiée. Peu à peu, je m’endors.
Le train avance, ralentit, s’arrête… J’ouvre un œil, c’est Saint Ybars, ancienne dépendance de l’abbaye de Lézat, semblant tout droit sorti d’un autre temps. L’arrêt se fait en bas de la crête. Saint Ybars domine et j’aperçois son vieux chemin de ronde qui l’entoure.
Peu après, c’est l’arrivée à Lézat, cité pétrie d’histoire. Je me souviens que mon cousin était venu ici se soigner ou tout du moins se soulager d’un zona grâce aux vertus curatives des eaux de l’ermitage de Saint Antoine.
La voie défile, j’ai encore les yeux remplis de ces personnages et de ces rencontres qui font le quotidien et tout le charme aussi du tortillard. Le tramway semble avoir de beaux jours devant lui, en ce début du XXè siècle où le modernisme commence à pénétrer ces campagnes. Le temps des chevaux est révolu ; place à celui de la vapeur…