Site intercommunal >>

Sur un air de fêtes

Voilà donc notre Sainte Croix traditionnel (2ème dimanche de septembre) changé en 14 juillet !

La rentrée scolaire étant maintenant début septembre, notre fête locale ne revêtait plus son éclat passé.

Les jeunes, les vacanciers qui avaient repris le chemin de l’école, celui du travail ; et les platanes du Champ de Mars n’abritaient plus qu’une foule clairsemée et peu animée. Souhaitons que notre fête retrouve tout son allant et l’entrain des anciens Sainte Croix.

Pour cela, il faudrait aussi tenter de retrouver cette volonté commune qui fait que notre fête était « unique », je veux dire propre à Daumazan. Bien sûr, les temps ne sont plus les mêmes. Nous sommes tous sollicités par maintes distractions (surtout des distractions passives). Les membres des familles, même dispersés, se réunissent souvent. La voiture, le téléphone nous relient - heureusement - quand on le désire. Bref, on se voit souvent.
Durant l’entre - deux guerre, la vie au village était encore proche de celle de nos grands - parents. On voyageait peu et les daumazanais de l’extérieur venaient en général une fois l’an et réservaient leurs congés à Sainte Croix. C’était la grande fête des familles enfin rassemblées. Aussi attachait - on un grand prix à ce jour.
La fête était, dans son organisation, l’affaire de tous. Lors de sa préparation, durant le mois d’août, le comité des fêtes réunissait les très jeunes de 10 à 20 ans et leurs aînés. Tous faisaient preuve d’une grande imagination et chacun avait une tâche précise à exécuter. Tous oeuvraient ensemble et le résultat était probant.
Le samedi soir, une grande foule se pressait au Dôme. Et, quand la fanfare éclatait, quand les enfants porteurs de lampions se mettaient en marche pour le tour du village, alors Daumazan commençait à vivre à l’heure de sa fête.
Le Champ de Mars était éblouissant. Les majestueux platanes étaient reliés par des guirlandes et des lampions colorés qu’éclairaient des bougies intérieures. Cela menait à l’orchestre où Joseph Dou Magne et ses musiciens (grosse caisse, trompettes, flûtes, trombones) jouaient mazurkas, valses, polkas, sans oublier au moins deux quadrilles par soirée, les « lanciers » et l’ « américaine », où les danseurs rivalisaient d’acrobaties.

Au bas du champ de Mars se tenait l’unique manège, celui de Victoire. Ah, qu’il était beau ! Du centre du chapiteau à son bord rayonnaient de superbes bandes de dentelles de Valenciennes alternant avec des étoffes soyeuses. Des boules, dorées ou argentées, de couleurs vives, étaient suspendues entre ces drapés et, lorsque le manège tournait, le vent et la lumière faisaient chatoyer toutes ces couleurs. C’était un véritable enchantement pour les yeux.
Sur le plancher du manège, deux barques basculantes se faisaient face d’où fusaient des rires et des cris et deux berlines fermées, aux fenêtres garnies de jolis rideaux étaient le bonheur des amoureux. Entre les barques et les voitures, une petite armée de chevaux de bois, fraîchement peints, semblait prête à s’élancer pour la course. Au centre du manège, trois petits automates toujours pimpants, l’un battant la mesure, l’autre jouant du tambour et le troisième des cymbales, accompagnaient l’orgue de barbarie que tournait Paul de Jirome et qui serinait « sur les grands flots bleus’ ou « elle avait une jambe de bois … » Dans l’espace libre entre le centre et le plancher, un brave cheval tournait inlassablement et actionnait le manège. Pour l’arrêter, il suffisait à Victoire de monter sur la planche que traînait le cheval et doucement le manège s’arrêtait.
Le tour de manège coûtait bien un sou ou deux et beaucoup d’enfants s’y ruinaient. Je me souviens m’être trouvée devant l’angoissant dilemme : ou un tour de manège de plus, ou un paquet des excellents berlingots que fabriquait Baptistine, la marchande de bonbons de Montbrun. Mais quel charme il avait ce manège de Victoire !

Des spectacles étaient imaginés. Les thèmes puisaient dans le folklore daumazanais. Je me souviens dans les années 1928 - 1929 de l’arrivée à la gare, de Picolo II, gouverneur de Bacou, reçu en grandes pompes par les autorités. Discours cocasses prononcés par les notables en habits. Le gouverneur ramené au village dans une charrette brillamment décorée et tirée par deux chevaux, et devenant le roi éphémère de la fête. Un peu plus tard, l’orphéon des « Poupards de Poupardi » revenant d’un long voyage en Australie et chantant leurs aventures : ( paroles et musique de Jacques Bret)

« A Poupardi aquesto annado, fêtant toutis les sants Poupards,
Am uno bero castagnado et dé brabis cops dé pinard.
Quand quittèren nostre billage per s’en ana concouri
Qu’abions toutis à parcouri…
A Poupardi aquesto annado…etc…
 »

Nous avons vu également une superbe course de taureaux dont tous les acteurs étaient les jeunes du village, un mariage à l’ancienne où les jeunes filles portaient les coiffes et les costumes de nos aïeules qu’elles recouvraient de beaux châles de cachemire. Il y aurait bien d’autres spectacles à évoquer, mais la place manque. Les « inventeurs » de tous ces amusements et les acteurs s’appelaient Marius Laurens, Henri Marty, Jacques Bret, Paul Fine. J’en oublie certainement et qu’ils me pardonnent. Il faudrait citer presque tout le village. Mais quelle gaieté franche, spontanée, quelle drôlerie de la part de tous.

Le dimanche matin était réservé à la grand messe, puis à l’apéritif concert. Camilou, notre « campanè » sonnait les cloches à toute volée et, elles, joyeusement, chantaient : « le bi es bou sens aïgo, le campanè que l’aïmo, que sa minjat la tripo, qué n’apos dicha mico »… Les femmes se pressaient à la messe, car ce jour là on étrennait une nouvelle robe. Il fallait la montrer et voir celle des autres.

Durant le temps noir de l’occupation, on n’avait plus le cœur à la fête. Aussi, les années suivant la Libération furent une explosion de joie et on renoua avec la tradition. Mais, ce ne fut plus du tout la même chose, bien que les orchestres champêtres tels ceux de Bentaberri et d’Edouard Duleu amenèrent beaucoup de monde au Champ de Mars et surent garder à la fête locale son style campagnard.
Et puis le mode de vie changeant très vite, la fête pris un caractère différent, peut être moins original. Mais, il faut qu’elle reste pour les jeunes un grand moment de la vie commune de leur village et qu’ils aient le sentiment que c’est l’héritage du temps passé, transformé certes, mais qui lie tous les habitants de Daumazan. Et maintenant bon vent à tous et que la fête commence.

Lucette Carbonne